Rapport de Plateforme2016 au Forum des étudiants de gauche de Cape Town (08/07/2016)

Vendredi 27 juillet, Plateforme2016 était invité par les organisateurs du Forum des étudiants de gauche de l’Université de Cape Town, en Afrique du Sud, à donner un aperçu du mouvement de lutte contre le projet de loi Travail.

Par vidéoconférence, nous sommes donc revenus brièvement sur le contenu de la loi Travail et l’état du rapport de force.

Nous avons expliqué en quoi la loi Travail représentait un recule historique pour les droits ouvriers en permettant aux employeurs de signer des accords d’entreprise défavorables par rapport aux accords de branche et aux accords de groupe, en donnant toute facilité de licenciement pour les employeurs, les licenciements économiques pouvant être motivés par la seule baisse du chiffre d’affaires ou des commandes sur un ou quelques trimestres…

Sur cet aspect de la loi, nous avons expliqué en quoi cette loi Travail permettait au patronat de maquiller des licenciements abusifs en licenciements économiques. De ce point de vue, il a été dit que cette loi représentait une offensive sans égale contre le droit de s’organiser au sein des entreprises, une offensive sans égale contre les droits syndicaux.

Nous avons relevé le fait que le mouvement qui a commencé au début du mois de mars dernier pouvait être caractérisé par sa durée, par la dynamique engagée autour de Nuit Debout et l’occupation des places urbaines, à Paris notamment.

Autour de Nuit Debout à Paris, des milliers et des dizaines de milliers de personnes ont convergé, tous les jours pour participer à de grandes assemblées populaires. Ces assemblées étaient des tribunes pour des gens de la rue comme pour certains activistes. Ces assemblées ont représenté, avec les commissions qui se sont constituées autour de thèmes particuliers, un cadre extraordinaire de politisation et d’échange.

Nous avons relevé que ce qui avait été significatif pour nous, et ce qui est significatif de la période qui est ouverte, c’est qu’une partie de la jeunesse et des fractions engagées du salariat recherchent une alternative à défendre et renoue avec des éléments socles du projet socialiste.

Nous ne prenons pas à la légère le fait que les interventions autour de la nécessité d’abolir la propriété privée des moyens de production et d’échange aient été applaudies régulièrement par des assemblées de 2000 personnes ou plus, place de la République à Paris.

Sans contestation possible, l’exigence d’une démocratie directe par la révocabilité des élus, celle de porter au sein même de l’entreprise l’exigence démocratique, faisait consensus.

Des propositions portées par le Réseau salariat de Bernard Friot ont été souvent débattu et nous ont amené, dans le cadre des débats organisés par la Commission Programme et perspectives, à pousser la réflexion collective autour de la transition vers une société sans classe et communiste.

Quelles sont les motivations au travail ? Quelles sont les conditions requises pour dépasser les rapports marchands d’échange et socialiser le coût de production de l’ensemble des biens et des services ? Comment se positionner par rapport à la proposition d’un « salaire à vie » ou d’un « revenu universel » ?

Ce qui ne fait aucun doute, par delà les débats et contradictions du mouvement Nuit Debout, c’est qu’un certain nombre d’idées que nous avons porté haut et fort dans les assemblées et les manifestations gagnent en audience parmi une fraction significative de participants. L’idée d’une baisse radicale du temps de travail par exemple, à 25 heures telle que nous avons défendu systématiquement et que nous avons vu reprise sur des affiches anonymes, ou l’idée d’un plafonnement des revenus et d’une gestion collective des entreprises.

Lors de ce dernier mouvement de lutte, nous sommes témoins et acteurs d’une tendance qui s’affirme plus radicalement, celle d’une repolitisation de l’avant-garde salariée. Une nouvelle génération prend la place de l’ancienne dans les syndicats notamment. L’ancienne génération avait été marquée et démoralisée par les défaites du passé, par l’échec des régimes dits socialistes.

Pendant plus de deux décennies, les propositions constitutives du projet socialiste étaient devenues taboues au sein même du mouvement ouvrier et des organisations d’extrême gauche. Aujourd’hui, une fraction de l’avant garde salariée, comprise au sens large, cherche à reprendre l’offensive idéologique contre la pensée bourgeoise.

Et comment pourrait-il en être autrement ?! Quand la pensée bourgeoise domine, c’est toutes les capacités de défense collective qui sont malmenées !

Aujourd’hui plus que jamais, et nonobstant le mouvement de lutte actuel, malgré les sondages qui témoigne du caractère impopulaire des mesures du gouvernement de gauche et la succession de manifestations ces derniers mois contre la loi Travail, c’est bien la pensée bourgeoise et libérale qui domine encore la classe salarie, et dans toutes ses composantes.

Depuis un an et son dernier Congrès à Marseille, la CGT a remis à l’ordre du jour et réaffirmé l’objectif d’une baisse du temps de travail à 32 heures hebdomadaires. Voici qui témoigne une volonté de l’appareil syndical de reprendre l’offensive idéologique. Dans les tracts de certains syndicats CGT ou Sud Solidaires, il n’est plus rare de relever des conclusions sur la nécessité de nationaliser telle entreprise, ou de lutter dans la perspective de la socialisation de la production ou de l’autogestion ouvrière.

Une avant garde reprend le chemin d’une lutte politique socialiste contre le gouvernement et ses offensives. La direction CGT renoue avec une perspective de conquête sociale.

Mais sans crainte de nous tromper, ce retour idéologique est encore très circonscrit à l’avant-garde syndicaliste la plus combattive. Nous n’en sommes encore qu’au début d’un recommencement. La période pendant laquelle l’idéal socialiste était inséparable de la conscience ouvrière en début du siècle dernier jusqu’aux années 80 a laissé place depuis trop longtemps au « Il n’y a pas d’alternative » de l’ancien Premier ministre britannique Margaret Thatcher.

Aujourd’hui, l’idée est très commune dans la classe ouvrière et la petite bourgeoisie que le problème, ce sont les charges sociales et le régime d’indemnisation trop généreux qui pèsent sur les salaires réels plutôt que les profits capitalistes qui entretiennent des inégalités sociales records.

Pour revenir à la loi Travail, une partie des salariés craint une dégradation de ses conditions de vie et de travail. Mais en même temps, une partie non négligeable de travailleurs du rang s’accorde avec les axiomes idéologiques de référence de la pensée libérale. « Si les employeurs peuvent plus facilement licencier, ils pourront aussi plus facilement embaucher ». Ou encore : « Pour chasser les mauvais éléments dans l’entreprise, il faut faciliter les licenciements ».

La division entre les bons travailleurs qui devraient être privilégiés par le salaire et la considération patronale et les mauvais travailleurs qui devraient être exclus de l’entreprise et ne mériterait pas d’être indemnisés paraît de plus en plus forte.

En 2006, la lutte contre le Contrat Première Embauche qui allongeait la période d’essai des Contrats à durée indéterminée avait rassemblé régulièrement plus de 3 millions de manifestants dans les rues. Depuis mars dernier, contre une loi qui nous ramène 50 ans en arrière, nous dépassons difficilement le million de manifestants sur toute la France.

D’une part le nombre de manifestants est loin d’être à la hauteur de l’attaque, d’autre part le mouvement de grève reste minoritaire. Dans certains secteurs les plus combatifs des transports publics comme la RATP, les structures syndicales sont particulièrement affaiblies. À la RATP comme à la SNCF, les organisations syndicales sont aussi très compromises avec le gouvernement de gauche. Les propres membres de ces syndicats, qui souvent sont socialement privilégiés, rechignent à se lancer dans la bataille, malgré les attaques de leur propre direction.

La grève des raffineries a été votée par les assemblées générales des salariés sur l’insistance des équipes syndicales CGT locale. Mais aucun autre secteur ne prenant le relais de la grève sur la durée, la reprise était rapidement actée. Les blocages des centres d’incinération en région parisienne n’auraient pu être efficients sans la sympathie des travailleurs du secteur de la propreté, des égoutiers et l’engagement de leurs camarades syndicalistes. Mais aussi vrai : ces blocages sont autorisés parce qu’ils bénéficient de l’appui de toute la Confédération de la CGT qui est dans un bras de fer avec le gouvernement.

La CGT défend son rôle de négociateur institutionnel privilégié en tant que premier et deuxième syndicat de France au côté de la CFDT libérale et progouvernementale. Une bonne partie de l’appareil CGT, au début du mouvement et après publication de l’avant-projet de loi El Khomri, considérait encore comme improbable l’inversion de la hiérarchie des normes. Quand il a été clair que le gouvernement avait bien l’intention d’assurer aux entreprises la possibilité d’organiser des référendums d’entreprise pour contourner les accords de branche et leurs commissions paritaires, la direction confédérale a réagi plus vivement en appuyant et en cherchant à multiplier les blocages.

Le mouvement de la classe salariée dans son ensemble n’est pas à la hauteur de l’offensive du patronat et de son gouvernement pour espérer faire reculer le pouvoir. Mais une avant-garde combative renaît et se renforce. Des milliers d’activistes participent à des offensives contre les forces de l’ordre à coup de jet de pierres et de pétards. Le gouvernement avait interdit les manifestations et les rassemblements. Il a dû céder.

Malgré les dispositifs policiers extraordinaires, malgré les hélicoptères qui survolent nos têtes dans une atmosphère de guerre civile pendant les manifestations, malgré les tirs de grenades assourdissantes et les gazes, malgré les assignations à résidence préventives de certains activistes, les gardes à vue et comparution immédiate devant les juges de présumés casseurs, des dizaines et des centaines de milliers de salariés et syndicalistes tiennent la rue et sont toujours déterminés à ne rien lâcher.

Si la mobilisation faiblit avec l’arrivée des congés d’été, nous sommes très nombreux a rester convaincus que la lutte n’est pas près de se terminer. L’idée est partagée dans le mouvement que l’attaque sans précédent du gouvernement marque notre entrée dans une nouvelle période politique, de lutte et de refondation politique.

Du côté de Plateforme2016, nous cherchons à structurer le mouvement de lutte sur le long terme. Nous pensons que si le mouvement n’est pas en capacité de gagner, c’est en raison de la marginalisation de la pensée d’une alternative crédible au capitalisme et de l’affaiblissement des solidarités ouvrières. Nous pensons absolument nécessaire de renforcer les capacités politiques de la classe salariée, renforcer ses solidarités, son esprit d’entraide, multiplier ses contre-pouvoirs syndicaux dans l’entreprise, et associatifs à l’échelle territoriale. Nous pensons qu’il nous faut faire partager des objectifs de mobilisation qui dessinent un nouveau projet de société. C’est en réaffirmant la perspective d’un pouvoir travailleur et de la reprise en main collective des moyens de production et d’échange que nous pouvons battre en brèche les craintes sur la fuite des capitaux, les délocalisations, ou empêcher que la lutte pour conserver nos droits soit retournée en plans de licenciements et en grève des investissements par le patronat.

Nous pensons que notre lutte est politique et que la construction d’un parti révolutionnaire, puisque la question nous est posée, est inséparable d’un progrès dans les consciences, de la ferme volonté de se battre pour une société d’égalité sociale et d’association libre des travailleurs, de libération sociale et d’épanouissement individuel. Pour matérialiser le projet dans le réel, il y a nécessité de travailler intensément au développement des capacités salariées autour d’une stratégie qui vise à renforcer notre pouvoir autonome pour disputer toutes les prérogatives sociales et économiques au patronat, aux hauts fonctionnaires et élus de la république bourgeoise.

Nous avons en France une extrême-gauche particulièrement affaiblie. L’opportunisme de cette extrême-gauche qui refuse de défendre un programme de transformation socialiste et de Révolution favorise à droite, les renaissances successives de la social-démocratie avec une issue électoraliste, et à gauche des tendances anarcho-autonomes qui refusent de porter des objectifs de lutte politique clairs pour le mouvement dans son ensemble et se montrent rétives à toute forme de centralisation politique et démocratique des organes de lutte interprofessionnels et sectoriels.

Dans cette situation, les militants révolutionnaires sont convaincus d’un fort potentiel de développement. Mais plus que jamais, nous sommes en faible nombre et isolés.

L’objet de Plateforme2016 vise justement à reconstituer le nouveau noyau d’une avant-garde combattive propre à développer les potentiels des prochains mouvements de classe. Pour que les éléments conservateurs et opportunistes qui sont dans les organisations syndicales et d’extrême-gauche ne puissent jouer le rôle de frein systématique à la simple expression d’un progrès de la conscience de classe, ou ne puissent empêcher la dynamique de construction d’un authentique pouvoir fédéré des travailleurs, l’intervention organisée des militants qui visent la Libération des exploités est absolument obligatoire.

 

 

 

 

 

 

 

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